Au premier plan, Bernard Calet, Archi-data (2021), sur la cimaise jaune, de gauche à droite, Pierre Jean Giloux, Metabolism # Invisible Cities (2015-17), Arthur Chiron, 5 607 249 (2021), et Pierre Besson, SNOIP-3 (diptyque, 2020), vue de l’exposition l’Atelier des mémoires vives et imaginaires. Art, informatique et cybernétique, chapelle Saint-Louis, Poitiers, 2021 © Alex Oz
À Poitiers, Christophe Le Gac, commissaire, fait explorer en une exposition la manière dont l’informatique infuse la création au-delà d’un simple usage des nouvelles technologies.
L’Atelier des mémoires vives et imaginaires : derrière cet intitulé qui, à mes yeux de profane, s’apparentait à une ligne de code, se déploie une stimulante exposition sur les rapports entre art et informatique. Loin d’en rester à l’art numérique, la première ambition du commissaire Christophe Le Gac, architecte, enseignant à l’École supérieure d’art et de design Tours Angers Le Mans (Esad TALM) et collaborateur d’artpress, est, en effet, de montrer comment l’informatique, au-delà de l’usage des nouvelles technologies, infuse la création contemporaine. On y voit donc moins d’écrans que d’objets relevant de toutes les disciplines – arts plastiques, design, architecture – et de toutes les pratiques – peintures, sculptures, photographies, vidéos, installations, maquettes, etc. C’est ainsi la matérialité de l’informatique qui est affirmée d’emblée avec la sculpture de Pierre Besson, artiste invité, qui ouvre l’exposition. Grand volume noir biscornu, sa Maison du dé (2021) n’est autre que l’agrandissement d’un composant d’imprimante de bureau. À l’image de cette sculpture pénétrable, nombre d’œuvres de l’exposition impliquent la participation des spectateurs, s’animent par la présence ou les gestes de ces derniers.
Pierre Besson, Maison du dé, 2021, Court. l’artiste & Le Miroir Poitiers © DR
La seconde ambition est d’inscrire les relations décloisonnées de l’art et de l’informatique dans une histoire. Les œuvres contemporaines sont les plus nombreuses. Certaines sont mêmes produites par des artistes en devenir, comme des étudiants de l’Esad TALM, membres de l’Atelier Design Game Global d’Angers, qui s’intéressent au corps physique dans son rapport aux jeux vidéo. Mais d’autres sont historiques. Parmi les plus anciennes, figurent les dessins algorithmiques à l’ordinateur que Manfred Mohr programme dès la fin des années 1960. L’exposition joue de ces décennies de progrès des technologies et met en regard ères analogique et numérique, comme en témoigne Menace 2 (2010) de Julien Prévieux. Ce meuble en bois est la réplique de la Matchbox (ou Machine) Educable Noughts and Crosses Engine conçue en 1961 par le chercheur en intelligence artificielle Donald Michie. Initialement constitué de boîtes d’allumettes, l’ordinateur mécanique devait pouvoir jouer au morpion et progresser de partie en partie.
Jeffrey Shaw (avec Dirk Groeneveld), The Legible City, 1989, software: Gideon May, Lothar Schmitt, hardware: Charly Jungbauer, Huib Nelissen, Court. Jeffrey Shaw (avec Dirk Groeneveld) et ZKM © Alex Oz
CORPS AGISSANT
Mais, avant de parler de telle ou telle œuvre, il aurait fallu décrire la scénographie qui les valorise. Elle est particulièrement élaborée et tire profit de l’espace de la chapelle baroque qui abrite l’exposition. La nef est occupée par des boîtes de couleurs différentes qui, à l’intérieur, accueille chacune une installation et, à l’extérieur, des œuvres murales. Parmi ces installations, j’ai redécouvert avec plaisir et pu expérimenter la fameuse œuvre interactive Legible City (1989) de Jeffrey Shaw (avec Dirk Groeneveld) qui permet de pédaler dans des villes aux immeubles transformés en mots et que je ne connaissais qu’en reproduction. Des œuvres sont aussi présentées en périphérie, dans les chapelles latérales – y compris, dissimulée par un rideau, la reconstitution, par Marianne Vieulès, grâce au logiciel Deepfake, d’une scène censurée d’orgasme du film Extase (1933) avec Hedy Lamarr, aussi connue pour avoir participer à l’histoire de l’informatique –, et dans le chœur, où s’élèvent, tel un moderne retable, les trois écrans des Cascades (2018), œuvres génératives d’Antoine Schmitt qui font s’écouler des flux de pixels blancs sur fond noir. La scénographie joue ainsi des harmonies et des contrastes avec l’architecture religieuse, et ce jusque dans les hauteurs de l’édifice où des écrans vidéo ont des allures de vitraux.
Vue de l’exposition l’Atelier des mémoires vives et imaginaires. Art, informatique et cybernétique, chapelle Saint-Louis, Poitiers, 2021 © Alex Oz
Cet espace fragmenté aurait pu être mis au service d’une présentation didactique. C’est tout le contraire qui a été privilégié, au risque de complexifier la visite. Mais quelques fils courent à travers l’exposition. L’un d’entre eux est celui du corps, qu’il soit figuré ou agissant. La Canadienne Sabrina Ratté est l’autrice des photographies Monades (2020) et de la vidéo House of Skin (2020). Les premières sont issues de scans 3D du corps de l’artiste tandis que la seconde explicite le lien entre le corps et les technologies en montrant des sortes d’organes branchés qui laissent à penser, selon les mots de l’artiste, que “le corps est une forme de technologie en soi”. Pourtant, au-delà des fils que pourra tirer chaque visiteur, c’est l’ambivalence du regard porté sur l’informatique qui m’a frappé. Certains artistes semblent s’abandonner dans une contemplation d’autant plus infinie qu’elle est portée par des travaux génératifs. C’est le cas d’Antoine Schmitt, mais aussi d’Anne-Sarah Le Meur, dont les photographies, extraites de la pièce générative Rose Apothéose (2018), sont de pures abstractions chromatiques. D’autres, au contraire, développent une critique directe. Elle est ironique quand Samuel Bianchini (avec Sylvie Tissot) expose un ordinateur exécutant un programme bogué. Elle est violente quand Philippe Hurteau perturbe le produit d’algorithmes en recouvrant de peinture des courbes de la bourse. Elle est radicale quand Wilfried Thierry présente une manette de jeux vidéo fossilisée et pose ainsi la question de l’obsolescence.
Par Etienne Hatt.
Sabrina Ratté, House of Skin, 2020, Court. l’artiste et galerie Charlot © Alex Oz
Vue de l’exposition l’Atelier des mémoires vives et imaginaires. Art, informatique et cybernétique, chapelle Saint-Louis, Poitiers, 2021 © Alex Oz
Back to Top