18 avril 2020
L’informatique au service de la création, ou l’inverse ?
A l’heure du télé-travail exacerbé, l’informatique et ses corollaires - des logiciels aux données, en passant par les réseaux et les algorithmes - doivent être pensés à l’heure du virage vers l’ère de l’Intelligence Artificielle (IA) (1). Voulue par certains humains, cette révolution des machines pensantes nous oblige à questionner les conséquences sur notre quotidien par la présence de ces hôtes programmés. L’architecture est un domaine où l’hybridation entre l’Intelligence Humaine (IH) et l’Intelligence Artificielle (IA) doit être conceptualisée et portée par des chercheurs et architectes praticiens. L’exposition en ligne « Intelligence Artificielle & Architecture », sous le commissariat de Stanislas Chaillou, architecte et chercheur en IA, donne quelques perspectives à cet égard.
L’IA au service de l’architecte
A priori, l’IA n’est pas là pour remplacer l’architecte, encore moins pour créer à sa place. Au contraire, cette intelligence synthétique va lui permettre de lui dégager du temps pour lire, penser, rêver et augmenter sa période de réflexion pour la naissance de ses idées de projet. Ainsi la plupart du temps, l’architecte pourra se mettre à distance de son travail de coordination d’activités, et retrouvera l’essence même de son travail : créer, non pas gérer. Car aujourd’hui une agence d’architecture passe 90% de son temps à jongler entre les contraintes liées à la technocratie ambiante (dossiers, réunions improductives, etc.), qui croît au même rythme que l’incompétence administrative augmente de manière exponentielle, et celles engendrées par d’imposantes normes voulues par les multiples lobbyistes du BTP (Bâtiment et Travaux Publics) qui influencent l’ensemble des organes décisionnaires. Toutes ces forces castratrices mutilent la création architecturale. Par exemple, elles retirent du temps précieux aux architectes qui doivent s’échiner à redessiner, redessiner encore et toujours de nombreux plans pour diverses modifications, généralement mineures. La plupart du temps ces changements sont dus à un placement de produit, ordonné par une quelconque firme du BTP, déguisé en nouvelle norme par les pouvoirs publics. Aujourd’hui, grâce à la maîtrise de l’IA dans ses dimensions réflexives et utilitaires, les architectes peuvent régler ses contingences et se consacrer au développement de leur écriture. L’exposition du Pavillon de l’Arsenal met en perspective cette hypothèse de travail par l’exemple et intègre ce moment particulier dans l’histoire de la discipline.
Discrétiser les plans
Dans sa conférence inaugurale du 27 février 2020 (2), Stanislas Chaillou explique l’apport de la programmation d’une IA pour la création architecturale. Il démontre l’évolution logique de la conception architecturale, de la « modularité » (la préfabrication industrielle de modules architectoniques) des années 1920-30, à l’arrivée de la CAO (Conception Assistée par Ordinateur, en anglais : Computer Aided Design pour CAD) dans les années 1960-70, en passant par l’avènement du « paramétrisme » (la génération de formes architecturales plus ou moins complexes, à partir de données prédéfinies et grâce à des programmes informatiques) à la fin des années 1990, pour arriver aujourd’hui, selon lui, à l’accouchement de la quatrième étape, à savoir celle de l’ère de l’IA au service de la création architecturale. Le chercheur de la Harvard Graduate School of Design (3) s’est amusé à discrétiser (définition : dégager des valeurs individuelles à partir de quelque chose de continu, synonyme : numériser, quantifier) tout un ensemble de plans d’un appartement avec d’infime variables (position de la porte d’entrée selon l’humeur du futur propriétaire, par exemple). En retour, l’IA lui a dessiné une infinité de plans avec d’innombrables variations d’aménagements intérieurs. Dans un espace aux contours donnés, une variété de solutions émerge quant à la position des pièces de jour, de nuit et de service. Stanislas Chaillou nous montre l’intérêt de l’IA comme assistante numérique dotée d’une force de proposition ultrarapide. Il conclut sa conférence par l’exposé d’un triumvirat d’atouts (la flexibilité, maintes options et l’analyse en temps réel) qu’offre l’IA appliquée à l’architecture. Il rajoute : « Plutôt que d’utiliser des machines pour optimiser un ensemble de variables, l’IA permettrait de déterminer grâce à la machine les qualités importantes du bâti et de les reproduire tout au long du processus de conception. » Reste à déterminer ce que sont « les qualités importantes du bâti », antienne question de la liturgie architecturale.
L’IA ne serait donc pas qu’un simple outil de plus pour l’architecte ?
Lorsque nous quittons cette visite virtuelle (4) de l’exposition « Intelligence Artificielle & Architecture », nous sommes en mesure de comprendre l’influence de l’informatique sur la conception de formes architecturales de plus en plus expressionnistes. Les architectes s’en sont donnés à cœur joie dans la recherche de formes hétéroclites pour répondre à un monde complexe. Grâce aux logiciels finissant souvent par CAD, la chaine du BTP a pu les construire avec plus ou moins de souplesse. Pourtant bon nombre d’architectes sont réfractaires aux dernières avancées technologiques, comme le paramétrique BIM (Building Information Modeling : maquette 3D incrémentée par tous les corps de métiers), car trop souvent imposées par les ingénieurs et les entreprises de la construction. Mais comme le dit Stanislas Chaillou : « Soit la profession est en mesure de piloter l’agrégation des disciplines autour de ces plateformes intelligentes qui préfigurent la conception architecturale de demain, soit elle passe à côté de cette opportunité et se verra asservie aux puissantes ingénieries qui émergeront des mondes de la construction ou de la technologie. » Pour cet architecte-chercheur en IA, il faut mieux créer la matrice que de la subir. En d’autres termes, maîtriser le code permet de garder la main sur l’art de bâtir des édifices physiques ou virtuels.
Si les différents projets expérimentaux exposés ont d’indéniables qualités graphiques et les cartels sont riches en informations et en connaissances historiques, nous sortons de ce parcours avec un certain regret : quid de la dimension symbolique ? Est-ce que l’IA peut produire ce qui distingue l’humain du non-humain, à savoir, de l’art ?
Christophe Le Gac
(1) L’Intelligence Artificielle est, pour aller vite, basée sur l’utilisation d’algorithmes (ensemble de règles de calculs s’appuyant sur de grandes quantités de données afin de régler un problème par apprentissage) qui tendent à simuler les mécanismes du cerveau humain.
(2) https://www.pavillon-arsenal.com/fr/arsenal-tv/conferences/ia-architecture/11486-ia-architecture-integrale.html
(3) http://stanislaschaillou.com/expliquer/
(4) Visite virtuelle : http://stanislaschaillou.com/arsenal/vtour/tour.html
Intelligence Artificielle & Architecture, Pavillon de l’Arsenal, Paris
https://www.pavillon-arsenal.com/fr/expositions/11466-intelligence-artificielle-architecture.html
Commissariat : Stanislas Chaillou, architecte
http://stanislaschaillou.com/main.html
et chercheur en intelligence artificielle
https://github.com/StanislasChaillou/OpenPlan